vendredi 20 juin 2008

Arret Le Clainche [L170 - validitité]

CE 5 mai 2008 n° 280496, 9e et 10e s.-s., SA Etablissements Gérard Le Clainche

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SA Etablissements Gérard Le Clainche, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'aliments pour animaux et de produits destinés à l'agriculture, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces qui a porté sur les exercices clos les 30 juin 1988, 31 mai 1989 et 31 mai 1990 ; que ce contrôle était lié à la transmission par l'autorité judiciaire à l'administration fiscale, en vertu des dispositions de l'article L 101 du LPF, de différentes pièces d'une procédure pénale et notamment du jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 17 octobre 1994, par lequel M. Le Clainche, président-directeur général et actionnaire majoritaire de la SA Etablissements Gérard Le Clainche, et son épouse avaient été condamnés pour faux en écritures privées ;
qu'à la suite du contrôle, des redressements au titre de l'impôt sur les sociétés pour les trois exercices précités, résultant de la réintégration dans les bases d'imposition de la société de sommes figurant sur de fausses factures établies par M. Le Clainche et son épouse, ont été notifiés à la SA Etablissements Gérard Le Clainche, assortis des pénalités pour manœuvres frauduleuses prévues à l'article 1729 du CGI ;
que la société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 2 février 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement du 18 juillet 2001 du tribunal administratif de Nantes rejetant sa demande tendant à obtenir la décharge des impositions et pénalités en litige ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L 170 du LPF : « Même si les délais de reprise prévus à l'article L 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due » ;
que, d'une part, ces dispositions ne limitent pas la nature des instances devant les tribunaux qui peuvent permettre de faire courir le délai spécial de reprise ;
qu'en particulier, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées à l'administration par une instance devant les tribunaux peuvent concerner d'autres contribuables que ceux faisant l'objet de la décision ayant clos l'instance ;
qu'ainsi, la circonstance que le jugement du 17 octobre 1994 du tribunal de grande instance de Nantes avait concerné M. et Mme Le Clainche ne faisait pas obstacle à ce que les omissions ou insuffisances d'imposition qu'il a révélées fussent utilisées par l'administration fiscale pour un redressement concernant la SA Etablissements Gérard Le Clainche ;
que, d'autre part, l'article L 170 du LPF a précisément pour objet d'ouvrir, dans les conditions qu'il définit, un délai spécial de reprise, dérogatoire par rapport à celui prévu à l'article L 169 du même Livre ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'administration avait pu, à bon droit, se prévaloir de ce délai spécial de reprise pour procéder, par une notification du 20 décembre 1995 concernant les exercices clos les 30 juin 1988, 31 mai 1989 et 31 mai 1990, à un redressement résultant d'informations qui lui ont été révélées par le jugement du 17 octobre 1994 du tribunal de grande instance de Nantes ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du 1 de l'article 38 du CGI : « (…) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (…) » et qu'aux termes du 1 de l'article 39 du même Code : « Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges (…) » ;
que la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que, si la société requérante soutenait que devaient être déduites des recettes occultes que l'administration avait réintégrées dans son bénéfice imposable les charges correspondantes, représentées par l'achat d'engrais et les commissions versées à un intermédiaire, elle ne produisait pas, au soutien de cette demande, des éléments suffisamment probants pour qu'elle puisse être accueillie ;
que, lorsque l'administration réintègre dans le résultat d'une société des recettes occultes, il doit être tenu compte des charges correspondantes, dans la mesure où elles n'auraient pas déjà été comptabilisées et où le contribuable produit tous éléments suffisamment précis pour établir la réalité de ces charges et son droit à en obtenir la déduction ;
que la cour, sans remettre en cause ce principe, a jugé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que les éléments produits par la société à l'appui de sa demande n'étaient pas suffisants pour établir la réalité des charges et pour démontrer qu'elles n'avaient pas déjà été inscrites en comptabilité ;
qu'elle n'a par suite pas commis d'erreur de droit au regard de l'article 38 précité du CGI en jugeant que l'administration avait, à bon droit, refusé la demande de la société tendant à la prise en compte de charges qui auraient, selon elle, correspondu aux recettes occultes ;

Considérant, en troisième lieu, que la cour a jugé qu'il ressortait de l'examen du jugement du 17 octobre 1994 du tribunal de grande instance de Nantes que ce tribunal, en mentionnant que « les prévenus s'accordaient sur un tonnage de 300 à 400 tonnes d'engrais vendus en marge des circuits commerciaux », s'était borné à rapporter les déclarations des intéressés
et que, dès lors, cette appréciation n'était pas revêtue de l'autorité de la chose jugée ;
que la formulation précitée, par laquelle le tribunal de grande instance de Nantes s'est borné à retracer l'aveu des prévenus, ne fait pas obstacle à ce que l'administration, dans le cadre d'un redressement d'impôt, retienne une quantité d'engrais supérieure à celle mentionnée dans le jugement du 17 octobre 1994 ;
qu'ainsi, en rejetant le moyen de la société tiré de ce que les bénéfices imposables auraient été fixés par le jugement du tribunal de grande instance, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SA Etablissements Gérard Le Clainche n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Décide : Rejet.